Alors que les péripéties de L’enchanteuse, deuxième volet de la trilogie, ont achevé de brouiller les cartes dans une intrigue reliant Paris, Versailles, les côtes africaines, Saint Domingue et la Louisiane, la famille d’Alma n’a toujours pas trouvé la paix, la stabilité qu’offriraient des retrouvailles. Dispersés et malmenés par le destin qui semble les séparer inexorablement, père, mère et enfants affrontent l’esclavage et les bouleversements d’une partie du globe, en cette fin de 18e siècle. Quelles en sont les répercussions sur les esclaves de Saint Domingue ? Dans sa quête, qui n’est pas toujours solitaire parce que les liens d’amitié ou d’intérêt parcourent l’intrigue, Alma, de retour d’Europe, traverse à nouveau l’Atlantique pour une longue escale à New York, à l’aube de son expansion urbaine.
Parfois les membres de la famille d’Alma, doués de capacités surnaturelles héritées de la lignée Oko, se croisent de justesse ou frôlent la fortune, le plus souvent dans la violence et la peur. Avec, toujours, l’espérance en dépit de la folie des hommes qui vient inexorablement faire tourner la roue.
Par le talent de Timothée de Fombelle, des personnages historiques comme Marie-Antoinette sont approchés avec des yeux renouvelés, de belles figures d’hommes et de femmes de toutes couleurs de peau et origine sociale rayonnent, tandis que de belles crapules aussi sont parfois cachées sous les oripeaux de la respectabilité, en ces années de chaos. Tant de figures peintes avec finesse et intelligence par l’auteur montrent la complexité d’une période de feu et de folie où l’âme humaine dévoile son ambivalence, entre cupidité et grandeur d’âme.
La Révolution française accouche de la déclaration des Droits de l’Homme, au prix de meurtres et de basses vengeances. La vie des esclaves dans les plantations en sera-t-elle changée ? Des esprits nobles portent haut ce projet. La réalité dans certains domaines est tout autre et Amélie Bassac, engagée dans des emprunts audacieux, fait partie de ceux qui évitent la violence. En sera-t-elle récompensée quand les plantations s’enflammeront à leur tour ?
Laissons-nous porter par la plume rare d’un auteur au dessus de toute idée préfabriquée. Timothée de Fombelle a-t-il un message à faire passer ? Poser la question serait réduire un immense talent à l’idéologie si souvent prégnante en littérature jeunesse, sur les questions de racisme, de justice sociale ou de revendications identitaires. Avec cet écrivain, on est à cent coudées au-dessus des considérations mesquines qui conduisirent l’éditeur américain Walker Books à refuser cette œuvre à la sortie du premier tome en 2020. Devant le succès en librairie, d’autres ont traduit et publié la trilogie, dépassant ce rejet initial dicté par les relecteurs en sensibilité qui prétendaient qu’un homme blanc ne pouvait, ne devait pas écrire l’épopée d’une jeune fille esclave noire, évoquant « l’appropriation culturelle ».
Le temps laissé entre la publication de chaque tome 2020, 2021 et 2024 conduit le lecteur passionné par le dernier volet de cette saga, à la reprendre depuis le début, pour le plaisir…
Ah oui, cerise sur le gâteau, les dialogues enlevés rythment le récit teinté de beaucoup d’humour. Charme et humour aussi dans les illustrations de François Place.